Stella Maris
Éditions M.E.O., 2022
180 pages
18,00 EUR
ISBN : 978-2-8070-0338-5 (livre)
978-2-8070-0339-2 (PDF)
978-2-8070-0340-8 (EPUB)


Michel-02
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bibliographie



STELLA MARIS


Traduit en bulgare
Éditions Aviana
Juillet 2013


Stella Maris bulgare




ARGUMENT

Adèle «  l’hirondelle » meurt victime de la pandémie et Damien, son époux, est dévasté. Son univers s’effondre, Ixelles et le boulevard Général Jacques, son métier de journaliste, ses amis… Même les souvenirs heureux souffrent d’une perte de sens. Damien décide alors de rompre avec cet environnement délétère et prend le train pour Ostende, où il retrouvera Stella Maris, la demeure vieillotte où sa famille a vécu. Il renouera avec le frère Marc, son ancien professeur au collège Jean-Baptiste de la Salle, mais aussi le confesseur bienveillant d’autrefois ; il cherchera à savoir si son père Louis, proche de Marc et accusé d’avoir tué Lucie, son dernier amour, est toujours en fuite ou a quitté ce monde. Mais le mystère reste opaque et Ostende, ravagée par le virus, couve la nouvelle vie du journaliste, empêtré dans une obscure affaire de malédiction, moqué par un cortège de masques, sensible aux boursouflures de James Ensor et requis par les rigueurs marines. Entre pluie et vent, écriture illisible du sable sur les fenêtres, Damien reprend possession d’une Flandre mythique où le passé présent lui façonne une neuve et providentielle identité.


EXTRAIT

Damien franchit les ripple-marks et leurs rides asymétriques. Au pied du brise-lames, des tourbillons lui cachent, et l’instant d’après lui révèlent, un agglomérat de moules et de petits crabes au détour d’une lourde pierre aux rugosités tranchantes. Ici, le sable est mou, presque liquide. De minuscules coquillages brisés débondent d’une vague mousseuse et font craquer la semelle. En bord de mer, rien n’est figé. Tout se mange et tout s’écoule et tout se change.
Il revoit l’enfant tapi en lui rapporter, rayonnant de soleil et d’air bleu, le produit de sa pêche miraculeuse. Enivré de senteurs marines, il tend le bras pour toucher l’horizon, redevenu ce jeune promeneur qui rêvait de porter l’eau salée à la bouche pour étancher sa soif. Sa respiration se fait plus ample, plus souple, il la croirait prête à gonfler la première voile en partance. Est-ce la nudité du paysage qui la libère ? Ou la chemise gonflée par le vent à l’endroit du cœur ?


CE QU'ILS EN ONT DIT

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Nous avons eu l’occasion d’interviewer Michel Joiret voilà quelques saisons et de dresser son portrait dans notre revue. Un romancier, essayiste et naguère enseignant auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont plusieurs ont récolté des distinctions et prix littéraires. Il nous revient aujourd’hui avec un roman de bonne facture, qui traite de thèmes tels que le décès d’un proche et la pandémie. Après la disparition de son épouse, Damien erre dans une ville dont il ne ressent plus les couleurs.
Même les souvenirs heureux souffrent d’une perte de sens. Pour marquer de la distance avec la douleur qui l’accable et (qui sait ?) s’ouvrir à un nouvel horizon, il embarque à bord d’un train pour Ostende, laissant derrière lui Ixelles, le boulevard général Jacques et un passé qui l’endigue aujourd’hui. Dans la cité d’eau si chère à Arno, il retrouve Stella Maris, la maison vieillotte où sa famille a vécu, son frère Marc et un ancien professeur de collège. Puis, il y a également un mystère qui le taraude. Son père, en fuite ou qui se serait suicidé, a-t-il vraiment assassiné Lucie, son dernier amour ? Outre la description psychologique d’un homme à la dérive, l’auteur donne chair à une ville qui se métamorphose sous sa plume, devient personnage entier et relève la tête après avoir ployé sous le virus qui a paralysé la terre. La peinture de couverture reprend l’œuvre de James Ensor, artiste ostendais, intitulée « L’intrigue ».
Paul Huet, Bruxelles-Culture


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Avec la mer du Nord…
Comment saisir la singularité de la Mer du Nord sans s’immerger dans le premier couplet du Plat Pays de Brel ? Comment toucher sa poésie en se gardant de prolonger les lignes de fuite humides aux nuances grises de Spilliaert ? Comment appréhender la mentalité balnéaire d’Ostende en ignorant les masques, colorés et malicieux, d’Ensor ? Comment percevoir l’air léger des plages (ensoleillées et bondées l’espace de quelques semaines) sans dodeliner sur la voix d’Arno charriant l’ode d’Adamo aux filles du bord de mer ? Comment avoir le cœur qui chavire sans fouler le sable couleur et densité Permeke, sans croiser les monumentaux Marins, sans se rire des mouettes en se parfumant les doigts de crevettes grises ? En lisant le dernier livre de Michel Joiret, peut-être, qui s’inscrit dans la certitude que la côte belge est de ces réalités qui ne s’apprivoisent que par l’appropriation artistique ou l’expérience intime.
C’est à Ostende que Damien De Man décide de se retirer, de se mettre en vacance pendant six mois, après le décès de son épouse. Depuis la disparition de son Hirondelle, le journaliste ne parvient pas à raccrocher à la vie : « On sent chez lui un effacement des lignes vitales, un désamarrage de l’âme, qui peut inspirer un mouvement de recul et susciter l’angoisse. Adèle seule lui a réchauffé le cœur et les sens. » Face au vide inexcusable, il se retranche dans un bâtiment qui abrite certains de ses souvenirs d’enfance, le Stella Maris, « un château vétuste et sans noblesse, coiffé [d’une] tourelle pointue couleur de pomme acide, rehaussée, nul n’a jamais su pourquoi, d’un fronton pompeux, étoile de mer déconfite que la marée n’aurait pas ramenée à l’étendue… ». Dans cet environnement, il a coulé des jours insouciants, au temps où ses parents n’avaient pas encore déserté, chacun pour ses raisons. Ensuite, lors de son adolescence, interne indocile, il a dû s’y frotter à la discipline rugueuse, aux pierres froides du collège des lasalliens. Adulte, s’il s’est rendu à la côte, il ne s’est jamais plus approché de ces endroits aux échos étourdissants. Et c’est pourtant là qu’il revient, empli de peine et de fantômes, en pleine pandémie…
Dans Stella Maris, une double promenade est proposée. La première prend les détours énigmatiques de l’histoire familiale de Damien. Par ses entretiens avec le frère Marc (son ancien professeur et protecteur), la remise de documents cachés et l’écoute du récit de Lod Vander Vaert, l’homme perdu démêle nœud après nœud le filet d’un passé dans lequel il est malgré lui empêtré. La seconde se déroule dans les rues et les lieux ostendais, recelant des trésors – même nimbés de COVID –, que Michel Joiret raconte avec sensibilité, à l’instar de Neela, la guide que croisera Damien sur son chemin. Un restaurant, une plage, une statue, une fête… tout est sujet à observations et anecdotes, dans une langue agréable et évocatrice. Avec ce roman, « [l]a respiration se fait plus ample, plus souple, [on] la croirait prête à gonfler la première voile en partance » vers un avenir peut-être apaisé…

Samia Hammami, Le Carnet et les Instants

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Comme dans ses romans précédents, Joiret relate dans « Stella maris » une quête du passé, dense et prégnante.
Son antihéros Damien, en deuil de son Hirondelle Adèle, revient sur les traces d'une enfance, à Ostende, quelque vingt ans plus tôt.
Par un printemps froid, dans l'ombre du Carnaval cher à Ensor, Damien remet ses pas dans ceux d'une ville connue, où il fut pensionnaire chez les lasalliens et de laquelle son père Louis De Man disparut, étrangement, après l'assassinat de l'une de ses maîtresses.
Le roman se nourrit de cette histoire familiale, tragique, du passé de la ville, soumise aux envahisseurs français, et du compagnonnage d'un frère lassallien, Marc, qui entretient avec Damien une amitié fervente.
La quête est douloureuse, insistante car, après le deuil, Damien veut renouer avec davantage de sérénité.
Ostende est présente, par ses figures artistiques, ses cafés, ses hôtels, ses coutumes, et le personnage de Damien, en journaliste avisé, ne rate aucune occasion de faire de cette ville un condensé d'art et d'histoire.
Écrit dans une langue précise et gourmande, le roman, construit sur un suspense familial attachant, se lit avec un réel désir d'en connaître plus sur ces mystères du passé.
Le romancier réussit à entretenir le mystère jusqu'au dénouement.
Voilà une belle histoire, personnelle et partageable.
Philippe Leuckx, Nos Lettres.


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Le malheur ramène au souvenir et le souvenir à l’intrigue dans ce roman à l’écriture, reconnaissable entre mille, avec la précision du style propre à Michel Joiret qui, en quelques phrases, sait si bien rendre une ambiance qui, presque toujours, ramène également aux caractères des personnages, car l’observateur aigu, l’esprit du conférencier ne sont jamais loin.
Évoquée en bord de mer, dans notre chère ville d’Ostende, l’action retrouve la façon d’évoquer et les paysages des « ripple-marks » si chers à feu Jean Muno, un de nos autres auteurs belges :
« Enivré de senteurs marines, il tend le bras pour toucher l’horizon, redevenu ce jeune promeneur qui rêvait de porter l’eau salée à la bouche pour étancher sa soif ».
Le néovirus a fait des ravages et d’autres masques se sont substitués à ceux évoqués par Ensor.
L’homme de lettres n’est jamais loin à évoquer la connaissance, la grammaire, le monde professoral :
« Nous n’avons guère – guère avec un seul r et un accent grave. De Man, la guerre a une tout autre acception. Le frère Joris pointait un index vengeur sur la feuille lignée. L’heure de la correspondance s’éternisait, bercée par le ronronnement des radiateurs ».
Dévasté par la mort de son épouse victime de la pandémie, Damien trouve refuge à la villa Stella Maris. Renouant avec les fantômes du passé, il cherche à comprendre le passé trouble de son père accusé d’avoir tué son dernier amour.
Le frère Marc, son ancien professeur au collège Jean-Baptiste de la Salle va-t-il le mettre sur les traces d’un passé obscur quand sa famille semble avoir subi une malédiction censée se perpétuer ?
Ostende semble vouloir garder ses mystères : « Damien tend la main vers l’horizon. Mais Ostende, la plate, ne remplit ni sa paume ni ses attentes, et c’est une mesure de ciel qui lui file entre les doigts ».
Le roman, évoquant le passé, fait la part belle à un contexte épistolier qui permet à l’auteur de quasiment doubler le roman en projetant un deuxième écrit dans le contexte global tandis qu’une providentielle sonothèque relate des faits historiques anciens servant à expliquer ultérieurement l’intrigue de la malédiction :
« En novembre 1792, après la bataille de Valmy, les troupes de la Révolution conduites par le général Dumouriez débarquent à Ostende. Le commissaire civil Antoine Aria promulgue le décret dissolvant de facto le régime autrichien, salué par une bonne frange de la population lasse de l’occupation qui dure depuis 1789 ».
Si les masques d’Ensor et ceux du bal du Rat Mort se confondent à ceux de la pandémie, l’auteur pose clairement la question de savoir ce qu’il reste des spectres que nous traînons dans nos vies.
Michel Joiret nous fait aimer davantage encore Ostende à travers la petite et la grande Histoire quand une jeune guide se mêle à l’intrigue.
L’ambiance et le style m’ont parfois fait penser à Henri Conscience avec son roman de 1895 « Le coureur des grèves ».
Patrick Devaux, Reflets Wallonie-Bruxelles.

Philippe Leuckx, Nos Lettres.

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Un journaliste au « Stella Maris », c’est Ostende au carrefour du passé et de l’avenir
Si on compte bien, Stella Maris est le quinzième roman de Michel Joiret. Pour faire bonne mesure, il l’accompagne d’un nouveau recueil de poèmes, Le long chagrin de mes jardins de ville (1) – sur ce terrain, ne nous montrons pas plus précis que l’éditeur du roman ou l’écrivain lui-même sur son site internet : ils se limitent tous deux, dans la liste des recueils du même auteur, à un choix. Stella Maris, c’est un immeuble à Ostende où Damien De Man, un journaliste ixellois solitaire depuis la mort d’Adèle, « l’Hirondelle », loue un appartement pour six mois. Il n’a pas choisi le lieu au hasard : « Stella Maris ! Te voilà et me revoici, château vétuste et sans noblesse, coiffé de ta tourelle pointue couleur de pomme acide, rehaussée, nul n’a jamais su pourquoi, d’un fronton pompeux, étoile de mer déconfite que la marée n’aurait pas ramenée à l’étendue… » Il s’agissait d’un bien familial, revendu depuis, dans lequel il a passé, avec ses parents, de nombreux étés de son enfance.
Ostende, c’est aussi la ville où il a été, après son père Louis et d’autres ascendants, interne au collège des lasalliens. Son caractère rebelle n’avait pas échappé au directeur qui ne l’appréciait pas, mais trouvait grâce auprès du frère Marc qui « dissimulait à son endroit une tendresse paternelle. » Plus ou moins consciemment, mais de plus en plus au fil des jours, Damien est aussi à Ostende avec l’espoir de revoir Marc, vingt ans plus tard. Celui-ci pourra peut-être l’éclairer sur une histoire familiale dont plusieurs pans restent mystérieux. À commencer par la disparition de son père, peut-être coupable d’avoir assassiné sa compagne d’alors, la dernière d’une longue série.
Dans un compagnonnage étroit avec la vie et la mort, Damien traverse la durée de son séjour ostendais comme dans un état second. La vie est le temps d’avant, quand Adèle n’avait pas été touchée par l’épidémie, elle est peut-être aussi le temps d’après, grâce à une rencontre lumineuse sous un ciel qui abandonne parfois ses teintes d’automne pour se donner de faux airs de printemps. Mais les morts de son père et d’Adèle l’encombrent d’un poids qui risque de l’entraîner lui aussi vers une fin prématurée.
Pétri de contradictions, Stella Maris est un roman qui ne prétend pas les résoudre toutes, mais laisse aux fantômes la place qui leur revient, surgissant parfois dans le réel.

Pierre Maury, Le Soir.